C’est un des immenses paradoxes de cette crise que de constater à quel point l’Europe semble avoir oublié les préceptes du grand économiste Anglais alors que les Etats-Unis et la Chine appliquent davantage les leçons qu’il avait tirées de la Grande Dépression.
Les leçons de Keynes
Pourtant, une première leçon a été tiré de la Grande Dépression, à savoir qu’il ne faut pas laisser le secteur bancaire faire faillite car cela entraine un chaos économique préjudiciable pour tous. Même si cela peut sembler injuste, il était sans doute préférable de venir à l’aide des banques. En revanche, il aurait fallu en tirer toutes les conséquences en matière de réglementation et ne pas hésiter à prendre des participations, comme l’ont fait les gouvernements britanniques et étasuniens.
La deuxième leçon est que l’économie ne se rééquilibre pas forcément après une forte récession et qu’elle peut ne pas repartir, laissant un niveau de chômage élevé. C’est pour cela que Keynes proposait que la demande publique prenne le relais de la demande privée par le biais de plans de soutien à l’économie. C’est ce qu’ont fait les Etats-Unis et la Chine, avec des plans de plus de 5% du PIB. En revanche, les plans de soutien européens sont restés très limités.
Et c’est tout logiquement que la croissance est repartie beaucoup plus vite de l’autre côté de l’Atlantique malgré une envolée du chômage plus importante et un terrible appauvrissement des ménages à travers la baisse du prix de l’immobilier. Les Etats-Unis doivent sans doute à la taille du plan de soutien (et à la faiblesse du dollar également) le retour à 3% de croissance en 2010, quand l’Europe va encore se contenter d’une croissance très molle de seulement 1%.
Quand l’Europe oublie Keynes
L’Europe aurait eu besoin d’un plan de soutien plus important pour relancer la machine économique. Nous n’avons pas assez appuyé sur l’accélérateur avant de passer sur le frein, ce qui fait que l’économie n’a pas acquis de dynamique de croissance. Il sera beaucoup plus facile aux Etats-Unis de réduire leurs déficit saprès avoir enregistré 3% de croissance en 2010 et 2011 qu’à une Europe dont on se demande bien comment elle pourra faire pour atteindre péniblement les 1% de croissance annuelle.
D’ailleurs, alors qu’une vague d’austérité s’empare de l’Europe, les Etats-Unis font passer 100 milliards de dollars de nouvelles mesures de soutien à l’économie et à l’emploi, profitant notamment du fait que les recettes fiscales sont nettement meilleures que prévues (200 milliards de plus à fin avril). La vague d’austérité risque au final de réduire les recettes des Etats et faire entrer le vieux Continent dans un cercle vicieux déflationniste qui n’est pas sans rappeler le Japon.
La Chine, d’ailleurs, applique elle aussi les politiques de « stop & go » de type keynésien. Déjà, début 2008, les autorités avaient procédé à des ajustements pour ralentir une croissance jugée alors trop importante (et qui avait créé une bulle boursière). La bourse avait perdu 60% de sa valeur en quelques mois, mais à froid, de manière ordonnée et voulue par le gouvernement. Puis, lors de la crise, fin 2008, le gouvernement a changé de politique pour soutenir la croissance. Aujourd’hui, alors qu’une nouvelle surchauffe apparaît sur le marché immobilier, il prend des mesures pour dégonfler la bulle.
Dans quelques années, il y a fort à parier que les économistes émettront un jugement sévère à l’égard des politiques suivies par les gouvernements européens depuis les années 90. Le pire est que d’autres gouvernements nous montrent pourtant qu’il existe des politiques alternatives.
Laurent Pinsolle